Le « Non » résulte plus d'une conviction d'inutilité de l'IE que de son rejet. Peut-elle redevenir utile ? Comment ?

Chaque français, réfléchissant à son choix lors du référendum sur l'institution Européenne (IE) s'est senti aussi divisé que les partis politiques qui le représentent. Une cristallisation s'est ensuite opérée, qui a conduit au « non » majoritaire. Pourquoi ?

Les arguments du « non » sont certes multiples et forts :

De même que le Président a choisi le référendum pour des raisons de politique intérieure, de même beaucoup de français ont voté non (des nons très divers !) pour exprimer leur insatisfaction devant la politique nationale. Les français que la mondialisation arrache peu à peu à leurs racines désespèrent de l'IE pour leur apporter un cadre de civilisation acceptable ; pire, ils y voient un risque d'aggravation. Le comble a été atteint quand, dans un moment d'inconscience, l'IE a envisagé d'inclure la Turquie. Le conflit majeur, protection-partage contre concurrence-responsabilité, n'est pas traité par l'IE, sauf à admettre implicitement et sans faire l'effort d'éducation voulu que le système libéral est le meilleur. Ce conflit n'est d'ailleurs pas un conflit droite/gauche comme les chroniqueurs le prétendent, mais, et c'est plus profond, un conflit de civilisation : anglo-saxonne contre méditerranéenne. La puissance contraignante croissante prise par l'IE, non issue du vote démocratique, et la déchéance progressive du pouvoir (monnaie, économie, relations internationales et demain plus encore) des nations fondées démocratiquement inquiète. Le parlement européen est voisin d'une bouffonnerie. Le traité proposé était un acte d'organisation, pas un projet. L'IE est un niveau administratif supplémentaire qui a un coût. On aime en avoir pour son argent. On a prétendu que l'IE a été un facteur de paix en Europe. C'est faux : les conflits récents ont témoigné de son impuissance et de sa fragilité. L'inverse, en revanche est vrai : une paix relative a permis à l'IE de se développer sans buter sur sa faiblesse constitutive. La moindre menace sérieuse l'aurait balayée. Mais surtout, l'IE ne peut se prévaloir d'aucune réalisation concrète qui l'aurait justifiée, sauf la relative amélioration des mécanismes d'échanges économiques, ce qui est un moyen, pas une fin. En revanche, tout ce qui a réussi au niveau européen s'est fait en dehors de l'IE : Airbus, Ariane, CERN, trains rapides, par exemple. De même aucune des menaces ou chances sur notre futur n'a été sérieusement prise en mains par l'IE, même si un traitement supranational semble approprié : vieillissement des populations, santé, retraite, éducation, sécurité etc. La myopie de L'IE est affligeante et perçue comme de l'impuissance. En un mot, rien n'a été fait dont les européens puissent être fiers.

Mais quelle que soit la force des arguments du « non », c'est avant tout la faiblesse des arguments du « oui » qui a emporté la décision :

L'utilisation d'une dramatisation des conséquences du « non » (pilier de l'argumentation socialiste) n'a fait peur à personne et est d'une insigne faiblesse. La nécessité de devenir une puissance, sans dire comment ni pourquoi relève de l'incantation. Les armes et la diplomatie sont nationaux, l'OTAN continue d'être le seul fédérateur crédible des forces occidentales. Alors où est la proposition de l'IE ? L'unité de civilisation européenne est un mensonge. Nous oscillons entre deux civilisations non réconciliées, l'anglo-saxonne et la méditerranéenne. Un énorme travail de reconnaissance mutuelle qui commence à l'école (et sans doute d'abord par les maîtres) doit être fait. Dans le même esprit, notons que l'Europe démocratique est née en se débarrassant du joug des églises chrétiennes. Invoquer ce passé chrétien comme facteur d'unité semble absurde et ne concerne plus grand monde. Le grand marché européen n'est toujours pas fait et n'est pas près de l'être. Rappelons au passage que ce n'est d'ailleurs qu'un moyen. Le leurre séduisant de l'Euro pour les consommateurs ne peut pas cacher la divergence profonde des systèmes économiques, fiscaux, sociaux et juridiques. Le marasme des pays de l'Euro par rapport à ceux qui n'y sont pas entrés est aussi un mauvais symbole.

A des degrés divers les français ont eu à peser ces arguments pour dire si, oui ou non, il fallait persévérer dans la voie actuelle avec le projet de traité. La réponse a été non, même si le rêve de quelque chose de plus que la nation continue d'être vivant. Non, car les arguments pour le oui sont maigres, peu convaincants. Non, car au fond cette énorme machine, dont les désavantages commencent à se sentir, ne les balance pas par des perspectives positives suffisantes.

Non, car l'IE est INUTILE.

Et, pour être plus précis, il semble que ce rejet n'est pas celui du traité proposé, au demeurant raisonnable, mais celui de la poursuite, dans la même voie, de l'institution actuelle, y compris son élargissement inconsidéré et ses traité antérieurs. Jusqu'où va ce rejet ? La réponse n'est pas simple. Et si l'intégration des pays slaves était une erreur ? Et si celle de l'Angleterre en était une autre ? Et si l'Euro conduisit les pauvres à l'être encore plus ? On peut frémir..

Devant ce constat d'inutilité de l'institution, beaucoup plus que de rejet, il semble que sa relance, ou même sa survie, passent par sa capacité à mettre en oeuvre des actes concrets, des projets précis que tous puissent juger utiles et qui, sans l'institution, ne peuvent pas se réaliser, ou moins bien. Un corollaire évident à ce but est que doivent être mis au réfrigérateur les vieux plats, objet du dégoût actuel, c'est à dire tout ce qui tourne autour des moyens et qui a fait les choux gras de l'IE. Citons en vrac le fonctionnement des institutions, ses fondements, l'élargissement etc.. Moyens, moyens, rien d'autre. Et ajoutons que les institutions sont suffisamment molles pour que celui qui veut les violer, pour construire, en a les moyens. Il sera sans doute même applaudi. On pense par exemple à des initiatives menées par un nombre restreint de pays.

Travailler sur ces axes d'utilité paraît donc la première urgence. Tentons quelques propositions.

  • Comment assurer la sécurité des ressources minières et énergétiques ?
  • Comment stocker et transporter efficacement l'énergie ?
  • Comment rendre le nucléaire propre et sûr ?
  • Comment se passer de pétrole à 20 ans ?
  • Comment disposer de transports individuels rapides, économes et sûrs ?
  • Comment rendre familier l'usage de l'électronique domestique ?
  • Comment ne pas rater les nano-technologies ?

Etc. Notons que sur certains de ces points la création d'un Centre européen de l'indépendance énergétique pourrait être une première réponse.

D'autres domaines, beaucoup plus liés à la culture, peuvent aussi utilement être abordés, par groupes homogènes de civilisation. Citons par exemple :

  • Utilité de donner un nouveau souffle à l'éducation.
  • Utilité de proposer des visions nouvelles devant le vieillissement des populations et en particulier sur le traitement de la dépendance et sur les retraites.
  • Utilité de doctrines militaires cohérentes et communes.
  • Utilité de préparer une sortie aux équilibres instables des systèmes de santé.

Le sujet est ici à peine abordé. La stratégie directrice est celle d'une recherche d'utilité perçue par tous pour sauver ce qui peut encore l'être. Si tant est que ce soit encore possible et que des hommes aient la volonté politique pour le faire.

Faudra-t-il 50 ans d' « Europe qui tombe » pour agir ?