Le Tibet est saisi en mars 2008 par une agitation qui donne lieu à une émotion internationale, à mon avis excessive. Voici quelques pistes d'analyse.
D'abord, la Chine n'a pas su maîtriser une situation pourtant prévisible. Les JO donnent une résonance d'une ampleur exceptionnelle à ce qui serait, sinon, resté bien plus confidentiel. Elle a cru, naïvement, la partie gagnée d'avance dans toutes les couches de la population tibétaine, en sous-estimant celle que la modernisation du pays fait disparaitre, la masse des moines, dont l'utilité sociale s'est évanouie. Aujourd'hui elle prend conscience du risque, car l'exemple tibétain peut devenir explosif en se répandant dans des provinces plus ou moins bien sous contrôle. Le Shah d'Iran avait, lui aussi, connu la révolte du clergé en son temps ...
Ensuite, le Dalaï-Lama, qui n'a jamais manifesté un tel désespoir, évident dans ses propos résignés. Lui non plus ne contrôle pas la situation et encore moins, la dirige. Exil et non-violence ne l'auront pas mené bien loin, en trente ans, dans l'avènement d'une situation politique acceptable pour les deux parties. Il pourrait bien y perdre ce qui lui restait de prestige et d'autorité morale auprès du peuple tibétain qui a besoin d'une vision plus opératoire du monde de demain.
Il lui reste, pour un temps, la bienveillance du monde entier, qui se croit un devoir de professer une opinion ferme et définitive sur ce qui se passe au Tibet. Opinion souvent d'une pauvreté déconcertante, théorique, pleine d'idéologie simpliste et réductrice. Opinion exprimée avec autorité et componction par des individus ignorants de la culture chinoise et encore plus de la culture tibétaine, ce qui ne les fait pas hésiter à affirmer, sans la connaitre, l'importance de cette culture et de sa préservation pour l'univers entier !
Ce qu'ils ne savent pas, ou ne veulent pas savoir, c'est que cette culture est morte depuis le milieu du siècle dernier et que ce n'est pas de la faute des Chinois. Elle est morte parce qui elle n'a pas su faire face à la modernité, ni trouver une voie propre au Tibet, autre qu'un refuge dans un passé mythique. Elle a vécu des décennies de quasi-liberté sans rien en faire, sauf se livrer à des conflits internes entre factions théocratiques. La reprise en mains par la Chine a été en fait la constatation de cette faiblesse structurelle, ce que le Dalaï-Lama a d'ailleurs souvent reconnu dans ses propos, et qui fait, qu'aujourd'hui encore, il ne récuse pas la présence chinoise. Le Tibet n'a pas non plus de pétrole pour faire illusion (en attendant peut-être l'uranium ?), comme le Moyen-Orient et son Islam échevelés, qui s'évanouiront eux aussi dans leur désert, faute d'avoir inventé leur propre modernité.
Ajoutons que cela ne retire rien à l'originalité ni à la valeur intellectuelle de cette culture qui peuvent encore contribuer à enrichir notre vision du monde et notre façon d'y vivre. Je reconnais, à titre personnel avoir trouvé beaucoup dans son étude. Mais quel que soit notre intérêt pour le siècle de Péricles ou celui de Louis XIV, qui prétendrait encore en faire un modèle de civilisation ?
La culture tibétaine a eu son heure de gloire et même de puissance, en organisant un monde nécessairement fermé, à la limite basse de sa survie, un monde où l'avenir n'avait d'autre forme que le présent, ce qui est d'ailleurs, un des thèmes clés de sa philosophie : vivre le présent, ou plutôt y survivre. Le monde entier a bougé, mais pas la culture tibétaine qui s'est desséchée dans son immobilisme clérical. Les peuples asiatiques qui entourent le Tibet se sont ouverts, ont travaillé, ont augmenté leur puissance économique, leur santé, leur longévité. L'inefficacité du modèle tibétain devant la modernité est devenue flagrante. C'est, d'ailleurs, toute la légitimité du modèle chinois, dont la civilisation, bien plus ancienne que celle du Tibet et au moins aussi respectable, a, elle, su trouver une voie moderne originale.
Ce qui, soit dit en passant, ne justifie pas l'excès de brutalité dont fait souvent preuve la Chine.
Alors, je fais un pari : demandons librement aux Tibétains comment ils choisissent leur avenir. Ils répondront qu'ils le voient en devenant eux aussi membre de la communauté des pays qui réussissent, en participant au monde qui les entoure et qui bouge, mais certainement pas en écoutant les prêches sclérosés de leurs moines déboussolés, en surnombre, qui se révoltent, conscients qu'ils sont en train de perdre une partie de leurs 'avantages acquis'. Et le modèle le plus proche est celui, concret, de la Chine, avec lequel le Tibet a une relation de longue date. La Chine doit aussi comprendre qu'elle ne récoltera que la haine tant qu'elle cherchera seulement à plaquer, à la coloniale, son modèle au Tibet, comme elle le fait en ce moment. Entre une indépendance qui ne ferait le bonheur de personne et une identification à la Chine Han inacceptable, il y a de la marge et la Chine est assez forte pour trouver une voie.
Alors, si la façon dont je ressens cette situation a un rapport avec la réalité, je pense que ce mouvement n'aura pas le soutien populaire qui lui aurait donné un élan durable. Il va donc, à mon avis, retomber rapidement. Je suis encore une fois navré par la pusillanimité de ceux qui, au nom de sentiments certes généreux, mais sans rapport avec la réalité et d'une insigne puérilité, veulent remuer ciel et terre, pour, en fin de compte garder un Tibet immuable, mais perdu. Il n'y a aujourd'hui que la Chine capable de proposer une solution aux Tibétains, et de leur apporter une prospérité minimale sans laquelle aucun pouvoir n'est légitime. Et elle le fera, bien avant que ne démarrent les JO.
Quant à la réponse, si essentielle ( !) à notre participation à la cérémonie d'ouverture des JO, ou à une présence symbolique à une ouverture partielle des jeux limités à une ... j'ai la réponse : les anges n'ont pas de sexe, ni à Beijing, ni à Clochemerle.